Panton, Eames, Starck : que changent réellement les plastiques moulés dans le mobilier ?
Par Ruth Tchenio, fondatrice de Maison Tchenio – architecte d’intérieur & décoratrice à Aix-en-Provence
Quand on parle de plastiques moulés en mobilier, on parle moins d’un « effet de mode » que d’une révolution d’usage : nouvelles formes, confort repensé, production maîtrisée, couleurs et transparences inédites. Trois jalons racontent cette histoire : Eames, Panton, Starck.
Eames : industrialiser l’ergonomie (1950)
Avec leurs coques moulées (fiberglass, puis plastique), Charles & Ray Eames ont transformé la chaise en outil universel : une forme simple qui épouse le corps, déclinable en piétements, finitions et contextes – de la salle à manger à l’espace public. C’est l’acte fondateur de la chaise plastique industrialisée au XXe siècle (mise en marché en 1950).
Ce que cela change :
- un coût et une diffusion maîtrisés (même coque, usages multiples) ;
- une ergonomie reproductible ;
- une grammaire du « le meilleur pour le plus grand nombre ».
Panton : le monobloc sculptural (1967)
La Panton Chair franchit une étape décisive : une chaise tout plastique, en une seule pièce, cantilever, pensée comme un ruban continu. Première du genre à être produite en série (1967, avec Vitra), elle prouve que le plastique moulé peut devenir sculpture fonctionnelle. Plus tard, elle évolue vers le polypropylène pour une production plus stable et accessible (1999).
Ce que cela change :
- la liberté de forme (courbes continues, pas de jonctions) ;
- la légèreté et l’empilabilité ;
- une palette couleur qui fait entrer la joie dans le quotidien.
Starck & Kartell : la transparence comme matière (1999–2002)
Avec La Marie (1999), Starck signe la première chaise entièrement transparente en polycarbonate, moulée en un seul bloc. Puis vient Louis Ghost (2002), clin d’œil baroque à Louis XVI, rendu possible par une injection monobloc d’une transparence quasi cristalline. Ce n’est plus seulement du pratique : c’est une poétique de la disparition dans l’espace.
Ce que cela change :
- la transparence comme outil de légèreté visuelle (petits espaces, intérieurs très lumineux) ;
- une résistance et une polyvalence indoor/outdoor ;
- la rencontre entre culture historique et innovation (postmodernité assumée).
En clair : ce que les plastiques moulés ont apporté au design ...
- Liberté formelle : courbes, monoblocs, portées en console – une expression vivante du siège. (Panton)
- Ergonomie industrialisée : une même coque pensée pour « s’asseoir bien » partout. (Eames)
- Démocratisation : production en série, qualité reproductible, large diffusion. (Eames)
- Couleurs & transparences : du PP teinté masse au PC cristallin, le siège devient lumière. (Starck/Kartell)
- Résilience & entretien : usage intensif, empilabilité, résistance aux chocs et aux UV (selon matière). (Kartell)
…et ce que l’on a appris en chemin (durabilité & santé)
- Le fiberglass des débuts (Eames 1950) posait des questions d’émissions et de recyclabilité. Les rééditions responsables actuelles ont fait évoluer les procédés pour une production plus sûre.
- Des icônes ont migré vers des polymères plus stables et recyclables (ex. polypropylène sur la Panton Chair en 1999).
Notre position : choisir les bons éditeurs (procédés maîtrisés, pièces réparables, filières de reprise) et intégrer ces assises là où elles ont du sens : intensif, cuisine, bureau, outdoor abrité, petites surfaces.
Comment je les utilise dans un projet (conseils concrets) ?
- Petites pièces très lumineuses → une chaise transparente (PC) pour alléger visuellement sans perdre de place. (ex. coin repas, bureau dans le séjour)
- Espaces à vivre polyvalents → coques plastiques moulées (PP) faciles à nettoyer, superbes en couleur sourde ; mixez piétements bois/métal selon l’ambiance. (Eames family)
- Gestes iconiques → une Panton ponctue un couloir ou une bibliothèque comme sculpture utile ; à doser pour garder la pièce lisible.
Conseil d’architecte – Dans les intérieurs baignés de soleil (Aix-en-Provence), évitez les finis trop brillants qui reflètent durement la lumière. Préférez des mates colorées ou des transparences contrôlées.
Repères : trois chaises, trois avancées
- Eames Molded Plastic/Fiberglass Chair (1950) – industrialisation d’une coque ergonomique.
- Panton Chair (1967) – monobloc tout plastique, cantilever, expression sculpturale. (version PP dès 1999)
- La Marie (1999) & Louis Ghost (2002) – polycarbonate transparent, injection monobloc, effet d’évaporation visuelle.
Les plastiques moulés ont déplacé la frontière entre industrie, confort et poésie. Bien choisis, bien placés, ils apportent légèreté, couleur et praticité — sans renoncer à l’âme des lieux.
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